Le navire, battant le pavillon noir de la grande maison Drès, ainsi que celui, rouge grenat, d'une maison mineure, était arrivé à l'aube, rompant ainsi la monotonie d'une nouvelle journée semblable à toute autre pour le petit peuple du village de Tel Uvaris.
Une petite foule de curieux s'était ainsi rassemblée pour observer le singulier bâtiment, qui à la lueur du jour naissant s'était révélé porter la patine et les cicatrices d'un long périple.

Quatre silhouettes avaient alors débarqué, un couple affichant une certaine richesse de par leurs autours, et ceux qui semblaient être leurs serviteurs, à la livrée beaucoup plus modeste.
Après une courte conversation, les gardes venus à leur rencontre les avaient escorté vers l'auberge du Braillard Ivre, et les badauds étaient rapidement retournés à leurs occupations.

**********

Nels réprima un soupir de lassitude en arrivant devant la porte du bureau de l'officier. Le village, la tour non loin - si tant est que l'on puisse appeler cela une tour, l'architecture Telvanni étant si particulière - tout semblait si différent, étranger même, et lui donnait une sensation de faiblesse, de se retrouver totalement plongé dans l'inconnu, à son grand déplaisir.

Il ne pouvait cependant pas se permettre de l'afficher, pas devant ces gardes, ni devant les seuls serviteurs restant...et encore moins devant sa sœur qui s'accrochait à son apparente confiance et semblait guetter avec appréhension le moindre signe de doute de sa part.
C'est donc avec le demi-sourire qui lui était familier fermement ancré sur le visage qu'il attendit tandis que l'un des gardes frappait trois coups secs pour annoncer leur présence.

Le calme régnait dans les appartements de Malsa Vedralu. Les parois fongiques de la structure de l'auberge isolaient aussi bien des températures que des bruits. La sorcière écrivait vraisemblablement une missive lorsqu'elle entendit frapper à la porte. Un soupir mécanique lui échappa, ce qui la surprit; était-ce devenu un automatisme, tant elle détestait être dérangée? Elle resta silencieuse un moment, se concentrant dans la pénombre que ne suffisaient pas à combler les quelques chandelles disposées sur son bureau. Elle lâcha finalement sur un ton sec :

- Entrez.

La voix qui venait de s'exprimer depuis l'intérieur n'inspirait clairement pas l'amabilité la plus totale, pensa Nels, même si après leur périple ce genre de considérations n’éveillait plus chez lui qu'un vague sentiment de contrariété.
Mais ils n'avaient pas fait tout ce chemin pour s'arrêter à de tels détails, aussi entra-t-il sans attendre et se dirigea d'un pas ferme vers la sorcière, sa sœur et leurs deux serviteurs fatigués sur les talons.

-"Ju'rohn, Sera. Je suis Nels Llanvel, et voici ma sœur, Nina Llanvel. Conformément à vos lois, nous nous présentons pour faire la demande d'un certificat d'hospitalité." annonça-t-il d'une voix neutre, manquant cependant de justesse de mentionner le nom de la maison Drès par habitude.

-Ah ! s'exclama-t-elle, c'est vous. Entrez.

Elle ajouta un geste chaleureux à la parole, ce qui contrastait avec la froideur de son précédant accueil. Sur un ton faussement joyeux, elle annonça :

- Je suis Telvanni Malsa Vedralu, Maître de la Grande Maison Telvanni. J'écrivais justement une missive à mon pair, le seigneur Uvaris, Maître Demnvath. Vous ne verrez pas d'inconvénient à ce que votre navire ait été investi par ses hommes au moment où nous nous parlons, bien entendu. Asseyez-vous, je vous en prie.

Malsa souriait. La situation était sous contrôle. Pas sous "son" contrôle, mais au moins sous celui de sa maison.

Nels ne savait pas s'il devait se réjouir ou s'inquiéter du fait que leur interlocutrice ait été au courant de leur arrivée, et ne put s’empêcher de ressentir une pointe d'irritation à la mention de la fouille - et probable confiscation - de leur navire.
Mais c'était à prévoir, aussi se contenta-t-il d’acquiescer d'une voix calme tandis que sa sœur et lui-même prenaient place sur les sièges qu'elle venait de désigner.

"Aucun inconvénient, votre prudence est compréhensible."

Plus d'échappatoire maintenant, si c'était un piège ils s'étaient engouffrés dedans. Avec un bref sourire rassurant pour sa sœur, signe d'une confiance qu'il était pourtant loin d'éprouver, il attendit qu'elle continue, non sans une certaine tension.

- Compréhensible? Si vous le dites. J'imagine que Maître Demnvath a donné des consignes concernant les Drès. Quant à moi, je ne suis là que pour vous soutirer quelques pièces en échange d'un certain document.

Malsa prit un parchemin dans un tiroir, s'assit sans cérémonie et commença à le gratter.

- Venez vous pour affaire?

Réprimant un rire nerveux qu'il sentait montrer en lui au prix d'un effort de volonté manifeste, Nels réussit à garder un ton égal lorsqu'il répondit, tout en plongeant machinalement sa main dans son escarcelle à la recherche de sa bourse.

"Pour affaire. On peut dire cela, oui."

- Bien, bien. Tout votre équipage va-t-il rester, ou bien ce certificat n'est que pour vous quatre?

Malsa cachait sa joie. Habituellement, elle n'avait à gérer que des demandes de certificats. Pour une fois qu'elle pouvait faire un peu de politique, elle se sentait comme en train de sortir de ce bureau infâme qu'elle occupait malgré elle. Elle n'avait jamais vraiment voulu devenir officier chargée de l'accueil, surtout pas dans un village aussi reculé et isolé que Tel Uvaris. Mais voilà ce qu'il en coûte de se penser plus forte que l'Archimage. Elle avait eu de la chance de rester en vie. Elle qui voulait devenir Héraut, elle se retrouvait Maître. Maître Malsa. C'était mieux; Enfin ça le serait si son domaine était plus grand que cette auberge.
Traiter une affaire comme celle-ci, c'était comme l'illusion d'une porte de sortie.

"Vous pouvez inclure l'ensemble de mon équipage." répondit-il, ne se voyant pas vraiment consigner les quelques hommes restants à bord après un tel périple.

Jusque là tout se passait plutôt bien...ils étaient encore, tout du moins en apparence, considérés comme des visiteurs et non comme des intrus douteux à jeter en cellule sans ménagement, ce dont il ne pouvait que se réjouir.

- Tout le monde? Et bien, cela va faire pas mal de noms à écrire. Vous êtes certains que ces gens ne vont pas rester à bord?

Malsa se grattait la tempe avec sa plume, regardant Nels. Il avait l'air plutôt jeune, aussi se demanda-t-elle s'il avait déjà eu l'occasion de se rendre en territoire Telvanni et d'y demander un certificat d'hospitalité.

- Sera Llanvel, permettez-moi de poser cette question, mais savez-vous à quoi sert ce document?

Spoiler:

"Pour autant que je me souvienne, il est nécessaire à toute personne, même simple visiteur, qui désire s’arrêter en ville et profiter de ses services.
Mes hommes ont largement mérité d'avoir quartier libre après un tel périple, mais n'ayez crainte, ils ne sont pas si nombreux." répondit-ils en ignorant soigneusement la petite entorse à son titre, jugeant préférable ce demi-anonymat.

Malsa commençait à écrire rapidement. Elle s' arrêta un instant et réfléchit. Si jamais le certificat venait à être cassé pour n'importe quel motif, tous les noms qui figuraient dessus se retrouveraient sans certificats. Peu importe si les marins étaient peu nombreux, cela ferait sans doute beaucoup d'amende à encaisser. C'était donc une opération rentable sur le long terme, mais assez risquée sur le plan légal: si jamais certains titulaires quittaient la ville, ils seraient encore enregistrés comme étant présents sur le documents détenus par leurs camarades restants.

Il restait une option à la bureaucrate, mais cela brisait la chaîne de renseignements qui était établie jusqu'alors. Et cela privait la garde de mettre des amendes à des Drès. Tant pis.


- Nous pourrions nous passer de ces étapes administratives fastidieuses, dit-elle, comme si son interlocuteur avait pu écouter ses réflexions, mais cela nécessiterait que vous vous rendiez à la Telgah de Maître Demnvath. Faites vous inviter, lança-t-elle avec un sourire.


Elle adorait lancer des sacs pleins d'ennuis à son pair. Et faire courir des Drès.

"Maitre Demnvath ? Fort bien. Si cela peut rendre les choses plus faciles, nous irons le trouver." répondit Nels, tout en se demandant en son for intérieur ce qu'il allait encore leur en couter pour convaincre ce seigneur Telvanni.

L'affaire prenait de plus en plus des airs d'imbroglio bureaucratique, une chose dont il se serait bien passé.

- Vous trouverez facilement. Tâchez juste de ne pas faire affaire dans les parages avant que votre situation n'ait été régularisée. 

Malsa ne savait pas encore ce que ces Dunmers du sud venaient faire ici. Et elle s' en fichait. Aucun navire Drès ne s' arrêtait jamais à Tel Uvaris, et la dernière fois qu'une caravane de cette grande maison était passée, c'était il y a des années. Des marchands? Cela l'étonnait fort.

- J'espère que vous savez voler. Il ne des end que rarement dans les étages inférieurs.

Ce fut tout ce qu'elle dit en guise d'au revoir. En fait elle espérait ne plus avoir affaire à eux. Elle reprit sa plume et signa la lettre qu'elle rédigeait à leur arrivée, puis la fit disparaître d'une mouvement de poignet. Elle arriverait sans doute avant quiconque devant le Seigneur mage.

Nels fit signe à sa petite troupe de se lever, après un bref salut poli pour la sorcière. Il n'arrivait toujours pas à déterminer si cette dernière venait de leur faire une faveur en les dirigeant vers ce seigneur Telvanni, ou les envoyait au contraire vers une multitudes d'ennuis.

"Nous le saurons bien assez vite." pensa-t-il tandis qu'ils quittaient l'auberge, toujours accompagnés des gardes qui ne semblaient pas décidé à les laisser de sitôt.

Dehors, le temps était clair. Depuis l'auberge située près des pontons qui constituaient le port rudimentaire, l'on pouvait voir la rue principale (et apparemment la seule rue) du village, qui montait et tournait vers la droite sur un colline. On devinait que la rue se prolongeait jusqu'au sommet, où siégeait la Telgah, Tel Uvaris. La tour Telvanni, très caractéristique, se voyait de loin. Située au sud de l'auberge, elle faisait de l'ombre à tout le village aux heures chaudes de la journée.
Bordée de maisons-champignons traditionnelles, la rue était sommairement pavée. Marchaient là quelques rares gamins, des vieilles femmes ainsi que des gardes. Fait notable, ces gardes étaient pour moitié des argoniens, chose assez étrange chez un Telvanni pour qu'on le remarque, d'autant plus que les argoniens étaient encore réduits à l'esclavage dans cette Grande Maison qui n'avait pas ratifié le Pacte de Coeurébène, gardant sa neutralité sempiternelle.

Amarré à un ponton, le navire Drès était gardé mollement par un dunmer et un argonien, tous deux vêtus d'armures d'ossements et armés de lances. L'équipage avait libre accès au ponton, mais on lui interdisait d'entrer en ville. Quelques enfants roublards s'approchaient avec des vivres ou du vin dans l'espoir de se faire un peu d'argent de poche auprès des marins.

Le village semblait encore plus étranger à la lumière du jour maintenant bien entamé, et tandis que le petit groupe remontait la rue vers l'imposante tour du maitre des lieux, Nels se demandait toujours quel genre d'accueil ce dernier leur réserverait.

"J'espère que vous savez voler." Les mots de la sorcière lui revinrent à l'esprit, lui arrachant un soupir tandis qu'il maudissait intérieurement les lubies architecturales des autochtones.

De toutes les façons de commencer une journée, l'idée de devoir escalader et jouer à l'acrobate dans les puits d’accès d'une tour Telvanni ne figurait définitivement pas parmi ses favorites.

L'on ne voyait qu'un rai de lumière traverser la pièce, coincé entre deux étagères. Une lumière bleutée, flottante, vive, qui se mouvait entre les tomes poussiéreux rangés à la hâte sur des rayonnages mal entretenus. Le sorcier Telvanni ne descendait que très rarement dans cette pièce. La dernière fois, c'était il y a un an.

Tournant rapidement les pages d'un manuscrit antique, Demnvath espérait retrouver un acte administratif datant de la première ère. Peine presque perdue vu l'état de classement des archives de sa maison. Il soupira longuement. Tout autour de lui n'était que toiles d'araignées, tomes dans lesquels seules la couverture de cuir restait, poussière et obscurité. Il posa le registre sur une table et se dirigea vers la sortie.

Les archives étaient placées dans les sous-sols de la tour, non loin de l'entrée du tombeau. Le sorcier jeta un œil sur sa salle aux morpholites avant de remonter un étroit couloir jusqu'au hall d'entrée. C'était le lieu le plus mondain de la tour, et pourtant, il était aussi calme que d'habitude. Quelques étudiants de passage lisaient, attablés à une massive table de bois qui trônait au centre de la grande pièce. Il ne le remarquèrent même pas alors qu'il s'appuyait à la balustrade d'une sorte de petit balcon intérieur. Demnvath se demandait ce qui allait bien pouvoir se passer aujourd'hui. Dans une poche de sa robe était placé un morceau de parchemin roulé, signé de la main de Maître Malsa, l'officier d'accueil qui possédait l'auberge du village. Il ne l'avait lue qu'à moitié, s'arrêtant aux mots "Drès", "bateau", et à l'expression "débrouillez-vous". Au moins, ce serait plus passionnant que de respirer de la poussière en vain dans une salle d'archives malmenée.

L'entrée de la tour est constituée d'un pont taillé dans un rhizome imposant et tordu. A son extrémité extérieure, un portail rond également végétal, ou fongique, comme on en retrouve souvent à l'entrée des villes ou tours Telvanni. Deux gardes en armure étaient postés là. Un dunmer, perçant l'horizon du regard, et un argonien, mal à l'aise dans l'ombre de la tour, visiblement frigorifié.

Le petit groupe ne mit pas longtemps à parcourir la distance qui séparait l'auberge de la tour, s’arrêtant à quelques pas du portail tandis que les gardes qui les escortaient jusque là échangeaient quelques mots avec les deux factionnaires.

Après ce qui sembla durer une éternité pour Nels, dont la patience commençait sérieusement à s'épuiser, les gardes s'écartèrent, leur ouvrant l’accès à la tour.

Il ne restait plus qu'à espérer que le propriétaire des lieux soient dans de bonnes dispositions...et qu'il ne les renvoient pas non plus, eux et les ennuis potentiels qu'ils pouvaient représenter, à un énième interlocuteur.

- Qu'est-ce qui me vaut l'insigne honneur de recevoir la visite d'autant de Drès à la fois?

La voix forte ne résonnait pas. Rien ne résonne quand les murs absorbent les sons. Demnvath, à son balcon, toisait les arrivant alors qu'ils franchissaient à peine la porte. Les quelques mages attablés se levèrent et s'éclipsèrent dans d'étroits couloirs disposés sur les côtés de la salle.

- La dernière fois, cela s'est si bien passé, que depuis j'ai tué plus de Drès que je n'en ai embrassé. Mais vous devez parfaitement le savoir, non?

Le sorcier ne bougeait pas. Il se contentait d'observer depuis sa position inaccessible à qui n'avait pas d'échelle.

Comme on pouvait s'y attendre au vu de leur origine, le maitre des lieux ne semblait pas particulièrement avenant.

"Mes respects. Quand à la raison de notre présence, elle est liée à un détail que je me dois de corriger: Ni nous ni notre maison ne sommes plus rattachés à la maison Drès."

Il n'y avait pas besoin d'en dire beaucoup plus, l'état de leur navire, les quelques serviteurs restants, tout les désignaient comme les réfugiés politiques qu'ils étaient, et il aurait été inutile de tenter de le nier.

Demnvath haussa un sourcil surpris. Voilà qui égayerait peut-être sa journée. Les relations entre la maison Drès et la maison Telvanni n'avaient jamais été trop houleuses, et elles étaient même assez fréquentes sur le plan commercial, les Telvanni achetant en masse des esclaves. Cependant Demnvath avait depuis quelques années des démêlés personnels avec cette Grande Maison, accentués récemment par quelques évènements près de Tel Heimlyn. Si ces Drès là n'en étaient plus, et qu'ils se présentaient devant lui, peut-être trouverait-il un avantage quelconque à les avoir près de lui.

- Ju'rohn, f'lah. Voudrez-vous me rejoindre dans mon salon privé, nous y serons plus à l'aise pour discuter.

Il jeta un œil aux personnes qui accompagnaient le dunmer. Son regard en disait long sur le choix de celles qu'il conviait à le rejoindre. D'un léger geste du doigt, il commanda à un esclave khajiit tapi dans un recoin de s'occuper des ceux qui accompagnaient. Il fit également un signe de tête à un garde, qui s'empressa de sortir, sans doute en direction des quais.

Demnvath s'engouffra dans le conduit derrière lui et se dirigea vers une pièce à l'arrière du hall d'accueil, laissant le soin aux deux dunmers de deviner comment le rejoindre.

Le soulagement de Nels était perceptible. Il se doutait bien que le changement d'attitude de leur interlocuteur devait certainement plus à l’intérêt qu'à une quelconque compassion, mais pour l'heure cela n'avait aucune importance.

Après un geste rassurant pour sa sœur, il balaya le hall du regard, cherchant un accès à leur niveau qui pourrait les mener dans la même direction que celle empruntée par leur hôte.